
Bruno Nestor Azérot est maire de Sainte-Marie et député de la Martinique, il fait partie de la majorité de gauche à l’assemblée nationale, mais il ne s’en est pas moins insurgé contre la loi autorisant le mariage des homosexuels. ‘
Madame la garde des Sceaux, madame le ministre, monsieur le président, chers collègues,
J’ai soutenu jusqu’à maintenant tous les projets et engagements de la gauche, mais il y a aujourd’hui une profonde confusion qui m’interpelle. La liberté de conscience et de vote qui existe au sein de mon groupe parlementaire, le GDR (1), me permet d’exprimer une voix qui est celle d’un homme libre d’ Outre-mer et j’en remercie mes collègues du Groupe dont les avis sont divers et très partagés sur ce texte. Outre-mer, en revanche, la quasi-totalité de notre population est opposée à ce projet qui bouscule toute les coutumes, toutes les valeurs sur lesquelles reposent nos sociétés ultra-marines.
Cette voix doit être entendue et comprise, et nous devons exprimer cette opinion à notre électorat qui ne comprend pas ce qui se passe ici et maintenant (applaudissement sur des bancs de droite).
Le risque est en effet grand d’un profond désenchantement vis-à-vis de la politique du gouvernement, voir d’une cassure morale irrémédiable. Car ce texte ne donne pas une liberté supplémentaire. Il fragilise le délicat édifice sur lequel se sont construites nos sociétés antillaises et guyanaises après l’abolition de l’esclavage. Il y a même, à mon sens, risque de rupture du pacte républicain qui nous lie, depuis deux siècles à la France (applaudissements sur des bancs de droite).
Cette question du mariage homosexuel appelle en effet de ma part des réflexions de fond. Il est nécessaire de distinguer la question de l’homosexualité et celle du mariage gay. Et la confondre, comme l’ont fait certains orateurs, n’est pas honnête.
L’homosexualité est une pratique qui relève de la sphère privée. C’est une réalité qu’il faut prendre en compte et qui appelle des droits et une protection de la vie privée pour ceux qui pratiquent. Le mariage gay et l’adoption pour les couples homosexuels relèvent, eux, de la sphère publique en ce qu’ils bouleversent la norme en vigueur en établissant une nouvelle norme en matière de famille, de filiation et de transmission patrimoniale.
Sur ce chemin-là, précisément, nous ne pouvons pas suivre.
Peut-on parler en effet de progrès et de nouvelle liberté ? A l’origine, en établissant le mariage comme institution, la société a donné un cadre juridique à une donnée naturelle: l’union d’un homme et d’une femme en vue de la procréation d’un enfant. Peut-il en être de même avec le mariage gay ? A l’évidence non. Car aujourd’hui, le mariage est plus un mariage sentiment que mariage procréation comme il l’était autrefois. L’enfant n’est plus la finalité du mariage et des personnes hors du mariage peuvent au contraire avoir envie d’enfants, ou des couples stériles.
La question qui se pose est de savoir plutôt si le sentiment doit devenir le sens nouveau et unique du mariage ouvert à tous les hommes et les femmes, fussent-ils hétérosexuels ou homosexuels. Doit-on révolutionner ainsi le mariage en France et en Outre-mer au risque de perdre nos valeurs fondamentales ? Allons-nous vers cette société où l’individualisme hédoniste remplacera nos vieilles doctrines personnalistes et socialistes fondées sur la solidarité, la liberté, l’égalité (applaudissements). La famille, pivot de notre société, depuis les Constituants et la Révolution française, depuis l’émancipation de 1848 (2) va-t-elle exploser au sens littéral du terme?
Notre responsabilité est grande devant l’Histoire.
Moi, homme issu d’un peuple opprimé, réduit à l’esclavage, où le système social était un système qui refusait à un homme et à une femme de pouvoir avoir un enfant et de se marier légitimement, où le mariage était interdit et fut une conquête de la Liberté, j’affirme le droit à l’ Egalité dans la différence et non dans le même, le semblable, l’unique (applaudissements et huées).
Car enfin, au nom de l’ Egalité, du refus des discriminations, peut-on établir une équivalence entre tous les couples ? Je crois au contraire que l’on ne peut mettre fondamentalement sur le même plan hétérosexualité et homosexualité. Un homme et une femme, ce n’est pas pareil que deux hommes et deux femmes ensemble. Etablir une équivalence, une nouvelle égalité, une nouvelle norme, c’est nier la réalité. C’est rétablir une oppression en confondant genre, sexe et pratiques.
Ce diktat de la pensée est contre l’humanité vitale des droits de l’homme et de la femme. Refuser cette différence naturelle, c’est refuser la différence sexuée. C’est déjà revenir à l’oppression de la femme et sur ses droits à être émancipée. C’est instaurer une nouvelle contrainte. Oui ! Car il sera interdit de faire la différence désormais entre un homme et une femme au risque d’être discriminatoire.
Et l’enfant, puisque deux hommes ou deux femmes ne peuvent procréer, que va-t-on faire ? Car, pour procréer, il faut bien un homme et une femme (brouhahas sur les bancs de gauche).
Donc irrémédiablement, il y aura recours à la procréation médicale assistée car ce désir d’enfant est légitime. mais ce n’est pas le droit qui refuse aux homosexuels d’avoir un enfant, c’est la nature. Alors, pour pallier ce problème de stérilité, on aura recours à la PMA.
Où est donc le progrès social ? Où est la liberté nouvelle ?
Comment voulez-vous qu’un homme dont les ancêtres ont été vendus et chosifiés, ne soit pas inquiété par cela ? (applaudissements à droite)
La gauche a le pouvoir dans cette assemblée. Je suis un homme de gauche. C’est parce que je suis un homme de gauche que je préfère l’humain et l’humanisme à ce que sous-entend ce texte.
Alors, que dire des hommes et des femmes d’outre-mer et sous le seuil de pauvreté ? Quand notre PIB est d’un quart inférieur à celui de l’hexagone et que soixante pour cent des jeunes de moins de vingt cinq ans sont toujours au chômage ? N’ y aurait-il pas d’autres priorités ? (huées sur les bancs de gauche) Que dirai-je à ce jeune Martiniquais qui, entré dans la délinquance, est sans travail, dont les parents sont aussi sans emploi et sans logement, et qui n’a pas de quoi se nourrir, qui n’a, pour seule alternative, que de récidiver pour pouvoir être reconduit en prison pour avoir enfin un toit et à manger? Que lui dirai-je demain ? Que je lui ai offert en tant que législateur une grande liberté, non pas un travail, non pas un logement, non pas un avenir décent, un espoir de vie, mais le mariage pour tous.
A mon grand regret, mais avec ma conviction d’homme engagé et libre de vote, je ne voterai pas ce projet qui est attentatoire aux libertés et qui ne répond pas aux aspirations profondes du peuple, en particulier en Outre-mer (huées à gauche, applaudissements sur des bancs de droite et aussi de gauche). Je vous remercie.
(1) Gauche démocratique et républicaine.
(2) abolition définitive de l’esclavage dans les colonies.